la mode est à la mode ! mais l’histoire de la création mode de la Caraïbe n’est pas encore  écrite… si l’import-distribution domine largement le marché, tâchons de porter un regard objectif sur la création.

Toutes les études historiques concluent d’abord au caractère jeune de celle-ci qui s’est traditionnellement concentrée sur l’habillement et les accessoires, au détriment de l’industrie textile. A l’instar d’une culture régionale d’oralité prônée, cette mode vit d’une créativité spontanée, dans une dynamique culturelle populaire légitimant son authenticité.

Tout comme l’identité régionale, la mode caribéenne n’est pas une mais multiple, puisqu’elle regorge d’influences africaines, latines, anglo-saxonnes, françaises et créoles. mais hormis le faste d’Oscar de la Renta, ou le mix de Stella Jean, la création directement inspirée de la caraïbe n’est pas encore véritablement reconnue sur les véritables marchés internationaux.

Réussir dans ce domaine requiert désormais une chaine précise de compétences.

A l’opposé d’une vision limitée au prisme des défilés, la mode s’est imposée comme l’un des domaines économiques majeurs.

« La mode n’est pas un art mais une industrie »

Dans son propos inaugural au forum Kréyol Fashion days (KFd) en 2012, l’emblématique créateur français, Jean Paul Gaultier tenait de toute évidence à souligner la réalité économique de ce secteur phare des industries créatives. Dans ce nouveau paradigme, un organigramme actualisé prévaut. Le temps de l’artiste-créateur roi est révolu et la clé de la réussite tient désormais à des processus collaboratifs. c’est tout l’enjeu de la bascule opérée du traditionnel métier de couturier vers l’actuel directeur artistique, maintenant aux commandes de la création, mais aussi l’image, dans le respect d’objectifs commerciaux. par ailleurs, le timide engouement des distributeurs témoigne de la faible compétitivité des propositions de la majorité des créateurs locaux sur des critères objectifs d’analyse de collections.

Au-delà des réelles problématiques de sourcing, nos créateurs doivent néanmoins parvenir à se réinventer. un tel élan vaut d’être accompagné d’une véritable critique, construite et indépendante en place des satisfecit dignes de publi-reportages de trop nombreux médias. La qualité de la formation dans nos régions demeure aussi largement en deçà des impératifs liés aux marchés contemporains.

Hormis des pôles reconnus comme Altos de Chavon en République Dominicaine ou à un degré moindre, l’université de Trinidad & Tobago et Edna Manley College à la Jamaïque, nos systèmes éducatifs actuels ne produisent pas les nécessaires générations de créatifs et managers. Le caractère souvent unipersonnel des structures, l’absence de modèles économiques performants, la déficience des stratégies de marques, la fragilité financière ou les faibles positionnements sur la distribution sont autant de faiblesses affectant les entreprises régionales.

Dans la foulée, la création de mode ne se réduit pas aux produits, mais appelle un influx de sens et valeurs par le truchement des marques. comme l’avait déjà théorisé le sociologue Marcel Mauss, la mode s’affirme un « fait social » du fait qu’elle se nourrisse de tout. elle constitue ainsi un formidable reflet de la société. La capacité de la création caribéenne à générer de l’image et du rêve gagnera à s’enrichir de synergies avec sa littérature, ses arts, sa sociologie ou encore sa mythologie.

La réussite de la caraïbe sera collective ou ne sera pas

De surcroît, dans les contextes de marchés mondialisés actuels, la réussite de la caraïbe sera collective ou ne sera pas. L’ouverture progressive de Cuba ne devrait qu’aiguiser l’appétit de certaines marques internationales, désireuses s’approprier certains identifiants caribéens faisant écho à leur propre ADN.

Si nous avons le droit d’être fiers, nous avons aussi le devoir d’être lucides. Les composantes de l’ADN caraïbe sont aussi partagées avec d’autres zones du monde, faisant preuve de stratégies de développement bien plus volontaristes. L’Afrique du Sud ou le Brésil en sont l’illustration.

Toutefois, des lueurs d’espoirs se dessinent autour de modèles de marques régionales comme The Colt (Trinidad & Tobago) ou Vèvè Collections (Haïti). Afin de multiplier ces modèles régionaux, l’accompagnement spécialisé des entreprises est un facteur incontestable de réussite. en Guadeloupe, le dispositif pilote emergence (etat, région Feder) permet d’accompagner 9 entreprises créatives sur une durée de 2 ans, avec des enseignements déjà optimistes pour l’ensemble de la filière.

En complément, les jeunes générations, correctement formées, porteuses d’identités caribéennes, mais réactives aux nouveaux environnements de marchés, s’affirment progressivement comme nos relais de croissance. en définitive, c’est en revisitant notre patrimoine, en développant des produits au design juste, et en créant un séduisant storytelling d’univers de marques correspondants aux attentes des publics contemporains, que la mode caribéenne parviendra à sa plénitude.

D’autres se chargeront de raconter nos propres histoires.

Le forum Kréyol Fashion Days proposé par la Guadeloupe dans le cadre du dispositif de coopération régionale interreg, intègre tous ces éléments de travail.  Sous réserve que les acteurs de la filière acceptent de s’extraire des plis de l’individualisme. Faute de quoi, d’autres se chargeront de raconter nos propres histoires.

Comme le recommandait le bureau de style parisien, Martine Leherpeur, associé à des travaux de prospection en cours dans le cadre du programme buzz caribbean, « il faut faire vite « . A l’horizon de 2020, je serais tenté de préciser  » il faut faire vite, et bien ».

Par TIM