Nou lan bétise blan, neg, mulat

Comme si po moun té confésyon (…)

Oun gran criniè pa vlé di lion (…)

Pinga jujé bwa sou lékos

Ballade des couleurs du poète haïtien Emile Roumer 

Légère comme l’aile du malfini, puissante comme le feulement d’une dragonne la voix de Toto Bissainthe s’élève dans le noir. Cette voix-incantation entame chaque defilé de Stella Jean “C’est le cri du rassemblement” précise la créatrice.

Une réconciliation que Stella Jean, de mère haïtienne et de père italien réussit avec une candide jubilation. La créatrice a connu le rejet dans l’Italie des années 80 à cause de sa couleur de peau… la malédiction des héritiers de Cham… son écriture stylistique en sera marquée.

Chez la styliste, les imprimés se mélangent, leurs origines aussi. Elle invente le Wax & Stripes. Sorte d’espace mode où les lieux communs, les étiquettes explosent comme elle l’explique en 2014 dans un article pour Figaro Madame:

« J’ai créé cette expression pour montrer qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Le wax, par exemple, n’est pas africain, il est fabriqué aux Pays-Bas (en Chine aussi, NDLR). Mais pour le reste du monde, c’est comme le drapeau de tout un continent. Tout le monde pense que le wax fait partie de la tradition africaine, mais c’est faux. C’est une colonisation culturelle du nord par le sud qui trompe tout le monde. Le wax, comme la couleur de peau, fait partie des clichés, des a priori. »

Avec Stella Jean, la terre est bleue comme une papaye. Les zèbres chevauchent les rayures italiennes et les Taks Taks bariolés (ces taxis typiquement haïtiens) se posent sur la hanche délicate de la madone. Cet univers sans frontières a séduit Armani, Beyoncé, Rihanna et la sphère mode.

 

 

Dès 2011 la styliste est lauréate du concours de Vogue Italia Who’s on Next, en septembre 2013 Armani propose à Stella de défiler dans l’enceinte du Théâtre Armani. On comprend dès lors ce t.shirt arboré par SJ lors d’une de ses collections « Gracie Mr Armani » ! En 2014, elle est nominée par le Business of Fashion comme étant l’une des « Personnes qui déterminent l’industrie de la mode mondiale en 2014 », 2015 est l’année des superlatifs… L’empreinte hybride de la styliste est en train de s’affirmer dans l’Histoire de la mode internationale.

 

Le travail de la jeune femme, un Discours contre le colonialisme d’un genre nouveau? Elle précise toujours dans Figaro Madame:

« Pour moi, c’est aussi une démarche de contre-colonisation. Pendant longtemps, le sud a été opprimé par le nord : on a forcé des gens à changer leurs coutumes et leurs costumes pour adopter ceux du nord. De nos jours, le mouvement s’inverse. Les personnes issues de l’immigration apportent leur propre patrimoine. Qu’on le veuille ou non, il faut arrêter d’avoir peur et commencer à penser en termes d’échange de richesses. »

Fidèle à sa démarche la styliste collabore depuis sa troisième collection avec l’ITC “Ethical Fashion Initiative” à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Grâce à cette collaboration Stella Jean admet avoir pu découvrir les vrais tissus africains. Ces tissus du Burkina Faso au canevas très particulier entièrement tissés à la main font partie de l’ADN de la marque. Et comme un pied de nez aux étiquettes c’est  le Stripes (rayures) habituellement attribué à l’Europe et non le Wax qui est le motif traditionnel de ces pays d’Afrique.

La créatrice dans cette nouvelle cosmogonie ne renie aucun apport, cela ne serait certainement pas trahir son manifeste esthétique que de reprendre ces mots du Discours sur le Colonialisme du poète martiniquais Aimé Césaire à son compte :

«  j’admets que mettre les civilisations différentes en contact les unes avec les autres est bien; que marier des mondes différents est excellent; qu’une civilisation, quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même, s’étiole; que l’échange est ici l’oxygène, et que la grande chance de l’Europe est d’avoir été un carrefour, et que, d’avoir été le lieu géométrique de toutes les idées, le réceptacle de toutes les philosophies, le lieu d’accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur redistributeur d’énergie.

Mais alors je pose la question suivante: la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? Ou, si l’on préfère, de toutes les manières d’«établir contact», était-elle la meilleure ?

Je réponds non.

Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir à extirper une seule valeur humaine. »

Stella Jean ou l’allure comme manifeste anti- colonial…