Icône internationale, mythe, référence absolue des mouvements artistiques issus de l’underground, Jean-Michel Basquiat était un artiste excentrique, une égérie. Avant-gardiste, il a entre autres, mis son métissage au cœur de son travail. Ses origines caribéennes sont le fruit d’une rencontre à New York : d’un père haïtien et d’une mère portoricaine. Figure emblématique de l’histoire de l’art contemporain et précurseur du graffiti au style vif, violent, il est né le 22 décembre 1960, à Brooklyn. En 2015, selon Artprice, il était l’artiste contemporain numéro 1 parmi les plus fructueux du marché de l’art, avec un produit de vente s’élevant à 125 821 223 $.
De Brooklyn à Soho
Jean-Michel Basquiat grandit dans le milieu de la bourgeoisie moyenne. Dès l’âge de 7 ans, il est encouragé par l’ensemble de ses proches pour son talent de dessinateur et à 8 ans, il est renversé par une voiture. Cet accident marquera un tournant décisif dans sa carrière. Gravement blessé, il devra rester alité durant plusieurs semaines. Ses parents sont séparés, il vit avec son père et ses deux petites sœurs. Durant sa convalescence, sa mère lui offrira un célèbre livre relevant de l’anatomie humaine, le Gray’s Anatomy(écrit par Henry Gray) et son extrême sensibilité, déjà très vive, lui permet de saisir les enjeux esthétiques de l’étude du corps humain. Quelques années plus tard, il dira au sujet de cette lecture : « I’d say my mother gave me all the primary things. The art came from her. »[1]En effet, à travers ses peintures, ses fresques, le motif de l’anatomie humaine – des têtes de mort ou des morceaux de squelettes, des cages thoraciques – apparaît, au milieu de figures colorées, faussement naïves.
Musicien, à l’âge de 19 ans, il crée un groupe baptisé « Gray », où il joue du synthétiseur et de la clarinette. Plasticien dans l’âme, la superposition de notes et de sonorités développera sa réflexion et lui permettra de pouvoir conceptualiser, dynamiser son futur travail d’artiste peintre. À l’aube de la naissance du graffiti dans le New York de la fin des années 1970, il part à la conquête de l’Histoire : il tague les murs du légendaire quartier de Soho. Ses œuvres s’inscrivent dans le décor d’une jungle urbaine en perpétuelle effervescence, et attirent vite l’attention des nombreux galeristes et acteurs du monde de l’art qui travaillent dans le quartier, qui sauront lire le génie.
L’œuvre, la signature
Basquiat écrit, griffe, rature, raye. Il marque sa volonté de rupture par les mots, jetés sur les murs et les palissades, où l’on pourra lire des maximes telles : « SAMO, as a neo art form»[2]. Ces slogans, poétiques et satiriques, premières punchlines, sont signés du pseudonyme « SAMO ». Il s’agit d’une contraction de la formule «Same old shit»[3], signifiant que pour lui, rien ne change, rien n’évolue. Cette formule, résignation méditative et insolente, sera suivie du symbole©, le copyright, indiquant la propriété intellectuelle. S’ajoute une couronne à trois pointes, que l’on retrouvera dans ses tableaux. Cet ensemble de signes, devenus aujourd’hui aussi iconiques que les plus célèbres logos industriels, se présenteront comme une affirmation de son identité, celle d’un homme métisse.
Basquiat est un précurseur du croisement de différentes formes d’art, du graffiti au Néo-Expressionnisme en passant par le Pop Art… Il assemble, superpose, crée et joue avec sa triple origine : new-yorkaise, portoricaine et haïtienne. Les mots sont découpés, répétés, mélangés à des autoportraits, des visages, des sujets autobiographiques comme le racisme ou la mort, associés à des commentaires en anglais, en français et en espagnol. Il introduit l’écriture dans ses tableaux et y mélange vaudou, spiritualité, bande dessinée, héros afro-américains, bousculant une Amérique bercée par les arts minimalistes et conceptuels. Dans son œuvre, l’artiste sublime le quotidien. L’œuvre témoigne.
Férocement attaché à sa négritude et arborant ses dreadlocksavec autant de fierté que Samson, à 22 ans, il expose son travail la Documenta de Kassel. L’année suivante, il expose à la biennale du Whitney Museum of American Art et la liste ne cessera de croître ; son succès sera fulgurant.
Le sacre
L’artiste se lie d’amitié avec Andy Warhol, ils travaillent ensemble et échangent autour de la question de la condescendance de l’art « blanc » à l’égard de l’art « noir ». Ils feront une exposition commune qui mettra fin à leur puissante collaboration artistique, mais leur amitié durera jusqu’à la mort de Warhol. En 1988, un an plus tard, Basquiat, devenu milliardaire, meurt d’une overdose à New York, à l’âge de 28 ans.
Mort annoncée, utopie avérée… les rébus oniriques qui ponctuent ses créations outrepassent le seuil de la conscience. L’œuvre est pulsionnelle, vivante, la lettre est barrée et trouve un sens dans son inexactitude. « SAMO is dead». On pouvait lire cette sentence sur les murs de la ville, au moment où il pénétrait l’univers artistique exalté du studio 54 et de la Factory, le début de la gloire. Il quittait à jamais le lacis urbain, à la quête de sa pierre philosophale. À jamais, la couronne royale jouxte le copyright. Le roi est mort, vive le roi !
article Olivia Berthon
[1]Littéralement : « Je dois dire que c’est ma mère qui m’a donné les principes fondateurs. C’est d’elle que vient l’art ». inJ.-L. Chalumeau, Basquiat, Paris, Éd. du Cercle d’art, 2003.
[2]Littéralement : « SAMO, comme une néo-forme d’art ». inJ. Cage, Compositions as Process : Silence, Lectures and Writings, Middleton, Weyseleyan (1961, p. 23) cité par Dieter Buchhart dans le catalogue de l’exposition Basquiat de 2010-2011 au musée
d’Art moderne de la ville de Paris, p. 59. / D. Buchhart, « Jean-Michel Basquiat Révolutionnaire entre quotidien, savoir et mythe », dans le catalogue cité, p. XIV.
[3]Littéralement : « la même vieille merde » inJ.-M. Basquiat, Témoignage 1977-1988, Galerie Jérôme de Noirmont.